Communication et conservation : deux missions diamétralement opposées mais néanmoins conciliables
L'une des missions essentielles des services d'archives et des bibliothèques est de rendre accessibles et de communiquer les documents dont ils ont la garde, afin que le patrimoine reste vivant et puisse faire l'objet de recherche et d'enrichissement. L'autre mission tout aussi importante est de conserver les documents confiés, afin que le patrimoine puisse être transmis intact aux générations futures, car l'avenir d'une nation, d'un peuple ou d'une communauté ne saurait s'envisager sans la connaissance de son passé.
Ces deux missions semblent être à première vue antagonistes : comment communiquer sans dégrader, comment conserver en communiquant ? Pour pouvoir remplir ces deux missions dans des conditions satisfaisantes, il est nécessaire d'élaborer une politique de préservation à long terme dont l'objectif est de prévenir, d'arrêter ou de retarder la détérioration des documents et, si nécessaire, d'améliorer leurs conditions de conservation, ou de préserver au moins le contenu des documents sous la forme de documents de substitution.
L'état des collections a malheureusement tendance à se détériorer par la conjugaison de plusieurs facteurs : utilisation, négligence et manipulation inadéquate, conditions environnementales mal contrôlées et modes d'entreposage inappropriés. Il s'ajoute à cela la moins grande durabilité des matériaux modernes : papiers et reliures fabriqués à partir de 1850, documents manuscrits, photographiques, films cinématographiques et documents sonores et audiovisuels instables.
Une bonne politique de préservation doit garantir l'accessibilité à l'information et minimiser les dégradations des documents. La préservation fait ainsi partie de la responsabilité de base de tout service d'archives et de toute bibliothèque conservant des fonds patrimoniaux.
De la conservation du document vers une approche globale des besoins de conservation des collections
Longtemps, la préservation a été limitée à la conservation et à la restauration des documents anciens, rares et précieux. Ces documents faisaient l'objet d'une attention particulière de la part de l'archiviste ou du bibliothécaire. Devant l'étendue des altérations dues à l'augmentation de la consultation des fonds, au non respect des recommandations en matière de conservation et à la mauvaise qualité des matériaux constituant les documents, le domaine d'application du concept de préservation s'est considérablement élargi. Le nouvel objectif est de diminuer la nécessité de traitements lourds et de minimiser les interventions au niveau de l'objet afin de pouvoir traiter un nombre d'objets plus grand.
Depuis les années 1970, on est passé de l'évaluation de l'étendue des dégradations à la mise en place de programmes de préservation. De nombreuses enquêtes ont été ainsi réalisées pour évaluer le nombre total de documents en danger. Les résultats de ces enquêtes sont alarmants, montrant que des dizaines de millions de documents d'archives ou de bibliothèques sont en danger à court ou moyen terme, faute de mesures de prévention ou de traitements adaptés. Beaucoup de documents et de supports de l'information sont en cours de dégradation comme par exemple des papiers acides, des films et des bandes magnétiques.
La conscience de l'étendue des dégâts va de pair avec le développement de méthodes de masse pour le traitement des papiers et de programmes de coopération au niveau international. Le programme PAC (Preservation and Access) a été créé par l' "International Federation of Library Associations and Institutions" (IFLA) en 1986. La "Commission on Preservation and Access" (CPA) a vu le jour en 1988. Depuis 1994, il existe une "European Commission on Preservation and Access" (ECPA). Dans le domaine des archives, la Commission Internationale des Archives (CIA), créée dès 1948, a contribué à l'émergence d'une conscience et de méthodes partagées pour la préservation des documents traditionnels. Dans le domaine des documents sonores et audiovisuels, la Fédération internationale des Archives du Film a promu la préservation des films anciens sur supports instables en nitrate ou en acétate de cellulose. La Fédération internationale des Archives de Télévision a suivi le problème de l'obsolescence rapide des formats. L'Association internationale des archives sonores et audiovisuelles a effectué une enquête sur les collections de documents audiovisuels, afin de déterminer les collections qui sont les plus exposées à une rapide détérioration.
L'UNESCO a créé le programme " Mémoire du Monde " en 1993 qui soutient des initiatives pour préserver et rendre accessible le riche patrimoine documentaire mondial.
Aujourd'hui, la préservation joue un rôle de plus en plus important parmi les missions des services d'archives et des bibliothèques et certains d'entre eux se sont dotés de directions de la préservation. La préservation est désormais assimilée au management au plus haut niveau. Toutes les collections ont besoin d'un programme de préservation. Les programmes de préservation bénéficient de plus en plus d'un budget représentant un pourcentage significatif du budget général de l'établissement. Des efforts importants sont faits pour que la préservation soit partagée par tout le personnel de l'établissement, à tous les niveaux.
Dans ce contexte, le terme de préservation est utilisé pour désigner l'organisation et la programmation de toutes les activités touchant à la conservation des collections au sens large. Le concept de préservation englobe la conservation préventive dont l'objectif est de mettre en uvre un ensemble de mesures pour diminuer les risques de dégradations : contrôle de l'environnement, entretien régulier et protection des collections par un conditionnement adéquat et l'utilisation de systèmes antivol, constitution de documents de substitution pour soustraire les documents originaux à une consultation trop fréquente.
De la connaissance des facteurs de dégradation à l'intégration d'un concept de conservation préventive
S'il faut d'abord avoir une connaissance approfondie des facteurs de dégradation des documents, il est tout aussi nécessaire de savoir mettre en uvre un programme de conservation cohérent, afin d'exclure ou de minimiser les risques de dégradation.
Il est ainsi très important d'intégrer le concept de conservation préventive à toutes les étapes du traitement matériel d'un document qui sont : l'acquisition et le traitement initial, la reproduction, le conditionnement, le stockage et la communication. Il s'agit d'abord d'établir les objectifs et les priorités en fonction de l'état d'altération, de la fréquence de communication et de la valeur du document, puis de déterminer le budget pour réaliser les mesures nécessaires à la bonne conservation, enfin de passer à l'action dans un souci de cohérence.
La diminution des facteurs de dégradation est l'objectif final, mais les programmes de conservation préventive doivent être adaptés à chaque institution, car les besoins dépendent de nombreux facteurs qui doivent être analysés au préalable. Afin d'assurer une bonne gestion du patrimoine, les responsables des collections doivent faire des choix, souvent difficiles en raison de l'importance qualitative et quantitative des fonds.
Afin de mettre en uvre un programme cohérent de conservation préventive il est important de procéder par étapes. L'inspection des locaux de stockage et de l'état des collections permet d'obtenir une vision globale des causes et conséquences des dégradations. Il devient ainsi plus aisé de classer les risques et les dégradations par ordre d'importance, puis de fixer des priorités dans la mise en uvre des mesures de prévention des risques ou de traitement des dégradations.
L'inventaire des risques, des dégradations et des mesures à prendre permettra d'établir un budget adapté aux moyens financiers et humains de l'établissement. Il est préférable de déterminer des projets à mener à court, moyen et long terme. Chaque mesure de conservation contribue individuellement à diminuer les risques de dégradation et doit être implantée, même si dans un premier temps, il n'est pas envisageable de traiter l'ensemble des problèmes rencontrés.
Il existe ainsi un certain nombre de recommandations générales, mais dont le respect est fondamental pour la bonne conservation des collections. Ces mesures sont présentées dans ce cédérom qui se veut être un outil pour tous ceux qui ont ou auront en charge la conservation des collections de bibliothèques ou de fonds d’archives.
Le présent cédérom comporte 6 chapitres :
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l’environnement et la conservation des documents dans les bibliothèques et les centres d'archives |
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la prévention des sinistres dans les bibliothèques et les centres d'archives |
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la conservation des documents sur supports mécaniques, magnétiques et optiques |
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Les différents chapitres ont été rédigés par des spécialistes du domaine concerné et comportent des informations sur la typologie des documents, les facteurs de dégradation et les mesures préventives. Certains chapitres comportent également des tableaux récapitulatifs.
Les mesures curatives ont été volontairement écartées du champ d’investigation, car leur mise en uvre nécessite le recours à des restaurateurs.
Les termes spécifiques utilisés sont définis dans le glossaire. Des liens hypertextes permettent d’approfondir les informations en renvoyant sur des sites web constamment actualisés et choisis en fonction de leur pertinence.
Chaque chapitre comporte une bibliographie de référence et des informations sur des normes publiées ou en préparation. Ces normes peuvent servir de recommandations ou de spécifications selon les différents cas qui peuvent se présenter.
Les chapitres sont largement illustrés, mais le volet "illustrations" comportant 400 images permet d’approfondir les connaissances et peut servir de base pour la réalisation de cours ou de conférences.
Par ailleurs, une partie du contenu du cédérom sera également accessible sur les sites web de l’UNESCO (" Mémoire du Monde ") et du Ministère de la culture et de la communication (" Sciences et Patrimoine culturel ").
Astrid Brandt-Grau Coordonnateur scientifique du projet Mission de la recherche et de la technologie Ministère de la culture et de la communication |